Questions-réponses avec Leslie Lamport

Leslie Lamport, qui a remporté le prix A.M. Turing Award 2013, la plus haute récompense en informatique, l’équivalent de la médaille Fields en mathématiques ou du prix Nobel en physique, a bien voulu répondre à quelques questions pour compléter notre article.

 

Questions et réponses

Y a-t-il des personnes que vous souhaitiez remercier, pas seulement pour ce prix mais pour votre carrière ?

Il y en a trop pour les énumérer, toute tentative me mènerait invariablement à oublier quelqu’un.

Je vais néanmoins distinguer une personne qui a profondément marqué ma façon de penser :  mon directeur de thèse, qui est devenu collègue et ami : le mathématicien Richard Palais.

Qui vous a le plus influencé professionnellement ?

L’informaticien qui m’a le plus influencé, surtout par ses travaux, est Edsger Dijkstra. Non seulement il a créé le domaine du parralélisme (concurrency), dans lequel j’ai travaillé, mais ses écrits m’ont aussi enseigné ce que l’informatique devrait être.

À quels gagnants précédant du prix A.M. Turing êtes vous le plus fier d’être associé ?

Tous les anciens gagnants  du prix ont fait un travail formidable, et j’ai la chance de pouvoir qualifier nombre d’entre eux de collègues. Je ne suis pas assez fou pour risquer d’en offenser certains en en distinguant d’autres.

De quelle contribution à l’informatique êtes vous le plus fier ?

Probablement de découvrir que l’exclusion mutuelle peut être implémentée sans supposer de mécanisme sous-jacent qui implique l’exclusion mutuelle.

Quels autres chercheurs mériteraient d’après vous de remporter un futur prix A.M. Turing ?

L’oubli le plus flagrant est sans doute Diffie et Hellman.

 

L’A.M. Turing Award sera remis à Leslie Lamport le 21 juin à San Francisco, Californie.

 

Richard Palais

Richard Palais est professeur émérite de mathématiques à l’Université Brandeis. Il est marié à Chuu-Lian Terng qui enseigne les mathématiques à l’Université de Californie à Irvine (UCI).

À la retraite depuis 1997, il poursuit son travail de visualisation mathématique et il travaille au projet The Virtual Mathematical Museum. Il est parallèlement professeur adjoint à l’UCI.

Il a travaillé dans les champs suivants :

  • Groupes de transformation compacte différentiable ;
  • Analyse non linéaire globale ;
  • Théorie du point critique (en particulier la théorie de Morse) ;
  • Géométrie différentielle ;
  • Systèmes intégrables et solitons.

Il est notamment connu pour le théorème Mostow-Palais, le théorème Lie-Palais, le lemme Morse-Palais et la Palais-Smale compactness condition.

 

Edsger Dijkstra

Le mathématicien et informaticien néerlandais Edsger Dijkstra, né à Rotterdam en 1930 et mort d’un cancer à Nuennen en 2002, a reçu le prix A.M. Turing en 1972 pour contributions sur la science et l’art des langages de programmation et le langage ALGOL. Juste après sa mort, en 2002, il reçoit le prix PoDC de l’article influent, pour ses travaux sur l’autostabilisation. L’année suivant sa mort, le prix sera renommé en son honneur prix Dijkstra.

Pionnier de l’informatique, il trouve l’algorithme du plus court chemin dans les graphes, appelé algorithme de Dijkstra. Il travaille sur le système d’exploitation THE, l’un des premiers développés en couches d’abstractions.

Connu pour son caractère difficile et son intransigeance et son refus d’utiliser les traitements de textes ou les machines à écrire, , son discours de réception du prix Turing, The Humble Programmer – il n’était certainement pas connu pour son humilité, reste célèbre. Tout comme son papier sur les méfaits de l’instruction GOTO, que Niklaus Wirth renomme « Go to statement considered harmful ».

Il s’est aussi intéressé à la vérification formelle de l’informatique. Il était contre commencer par écrire d’abord un programme pour ensuite prouver mathématiquement sa correction. Il préférait le processus de dérivation de programme, où l’on dérive un programme de ses spécifications.

 

Whitfield Diffie et Martin Hellman

Whitfield Diffie est né à New-York en 1944. Il étudie les mathématiques au MIT et à Stanford.

Dans les années 1980 il travaille pour Northern Telecom.

En 1991, il rejoint Sun Microsystems où il travaillera jusqu’en 2009.
De 2010 à 2012 il travaille pour l’Internet Corporation for Assigned Names en tant que vice-président pour la sécurité et la cryptographie.

 

Martin Hellman étudie l’ingénierie à l’Université de New York puis à Stanford. Il travaille à l’IBM Watson Research Center de 1968 à 1969. Il est professeur assistant au MIT de 1969 à 1971. En 1971, il devient professeur à Stanford où il restera jusqu’en 1986, data à laquelle il est nommé professeur émérite.

 

Diffie et Hellman sont connus pour l’invention de la cryptographie à clé publique. En 1976, ils publient « New directions in Cryptography » et introduisent une manière radicalement différente de distribuer les clés cryptographiques. La distribution des clés est l’un des problèmes principaux de la cryptographie. Leur solution est nommée la Diffie-Hellman key exchange. L’article est à l’origine du développement des algorithmes de cryptographie à clés asymétriques.

Avant eux, les États avaient de facto le monopole de la cryptographie, contrôlaient les techniques utilisées et qui était autorisé à les utiliser.

À la même période, ils critiquent la taille de la clé du Data Encryption Standard (DES), qu’ils trouvent trop petite. Ils prédisent des attaques massives pour craquer ces clés et l’histoire leur donnera raison : on sait maintenant que la NSA est intervenue auprès des deux créateurs du DES, IBM et NBS, pour les forcer à réduire la taille de la clé.

Diffie s’est toujours battu pour le respect de la vie privée ; Hellman travaille sur la façon dont on peut désamorcer le risque nucléaire.