Une machine peut-elle penser? Eugene Goostman est loin du compte

Le test de Turing fête ses 65 ans

 

Une machine peut-elle penser ? C’est la question que le mathématicien anglais, et l’un des pères de l’informatique, Alan Turing, s’est posée, il y a plus d’un demi-siècle.

En 1950, il décrit dans sa publication Computing machinery and intelligence un test d’intelligence artificielle fondée sur la faculté d’imiter la conversation humaine.

Il s’inspire d’un jeu d’imitation dans lequel un homme et une femme tentent de faire croire qu’ils sont deux femmes. Des invités posent des questions aux deux volontaires, qui sont dans des pièces séparées. À l’aide des seules réponses, ils se convainquent ou non du sexe des deux volontaires.

Similairement, Turing, qui est conscient dès l’origine des limites du test, propose que des programmes convainquent plus de 30 % des interlocuteurs,  lors d’une discussion textuelle de cinq minutes, de leur humanité, la discussion ne devant avoir aucune limite de sujet.

Il prévoyait un succès pour l’an 2000:

Je crois que dans environ 50 ans, il sera possible de programmer des ordinateurs, avec une capacité de stockage d’environ 10 ^ 9, qui leur permettra de jouer le jeu de l’imitation si bien qu’un interrogateur moyen n’aura pas plus de 70 pour cent de chances de l’identifier correctement après cinq minutes d’interrogatoire.

 

Le test à la Royal Society à Londres

L’Université de Reading, organisatrice d’un test à la Royal Society à Londres, affirme que le programme Eugene Goostman, aurait passé pour la première fois le test de Turing. Il aurait convaincu 33 % des juges qu’il était humain.

Le programme a été développé par une équipe dirigée par Vladimir Veselov, né en Russie et émigré aux États-Unis, et  Eugene Demchenko, d’Ukraine.

Le programme est accessible au public, mais en ce moment les serveurs semblent débordés.

Le professeur Ken Warwick affirme modestement :

« Cet événement entrera dans l’histoire comme l’un des plus marquants. »

« Avoir un ordinateur qui peut faire croire à une personne que quelqu’un, ou même quelque chose, est une personne en qui nous avons confiance, est un signal d’alarme contre la cybercriminalité.

Il y a néanmoins de nombreuses raisons de douter de la portée de cet événement.

 

Quelle portée pour ce résultat ?

D’une part, comme le reconnaît le professeur, mais alors qu’il le réfute, Eugène Goodman pourrait bien ne pas être le premier programme à passer le test.

En septembre 2011, à Guwahati en Inde, le programme Cleverbot parvint à convaincre la majorité des participants et observateurs du test de son humanité. Les conversations durèrent 4 minutes chacune. Quinze participants discutèrent avec Cleverbot et quinze autres avec des humains. Le public pouvait suivre les conversations puis voter avec les participants. Il y eut 1 334 votes. Cleverbot fut considéré humain à 59 % et les interlocuteurs humains à 63 %.
Si l’on ne sait pourquoi le test n’a duré que 4 minutes au lieu de 5, les résultats semblent nettement plus convaincants que ceux de l’Université, qui semble absolument vouloir obtenir un résultat en Angleterre 65 ans après l’invention du test, et pour fêter le 60e anniversaire de la mort d’Alan Turing.

D’autre part, le programme s’est présenté comme un enfant ukrainien de 13 ans. Pour des juges anglais, le statut d’enfant, ne parlant pas leur langue maternelle, et habitant dans un pays étranger, ne pouvait que colorer la conversation par une bienveillance à laquelle un pair n’aurait pas eu droit, tout en l’orientant et en limitant naturellement le domaine des questions et des réponses. Ce qui est clairement une violation de l’esprit du test.

On sait depuis longtemps que ces programmes sont optimisés pour tromper l’interlocuteur, et non à réellement augmenter les capacités de la machine, c’est pourquoi le test de Turing a une valeur des plus limitées pour la recherche en intelligence artificielle.

On aimerait avoir accès à la transcription de toutes les conversations. La seule que nous ayons trouvée jusqu’à présent fait peur. On a peur pour la « célébrité ou les autres humains » qui ont pris l’auteur de cette conversation pour un être humain.

Quant à la remarque sur la cybercriminalité, même s’il peut être inquiétant de confondre un programme informatique avec un humain, ce n’est pas la même chose que de lui faire confiance.

Pour notre part, il s’agit ici plus d’une retombée en relation publique adroite de l’Université de Reading qu’un événement d’une quelconque importance.