Un site Web ne peut pas être tenu responsable des commentaires injurieux, outrageants et humiliants de ses lecteurs

Le 5 février 2010, l’organe d’autorégulation des prestataires hongrois de services de contenu sur Internet, Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete (MTE), publia sur son site web une opinion dans laquelle il critiquait la pratique commerciale de deux sites web d’annonces immobilières qui trompaient selon lui leur clients en proposant un service de publication d’annonces gratuit pendant 30 jours qui devenait payant à l’expiration de ce délai sans que les intéressés n’en soient préalablement avertis.

Le site Web hongrois  Index.hu Zrt (Index) rapporta ensuite cette opinion, dont il publia l’intégralité sur son site. L’opinion recueillit des commentaires injurieux et grossiers sur le site de MTE comme sur celui d’Index.

Le 17 février 2010, l’entreprise qui exploitait les sites d’annonces immobilières en question engagea une action civile contre les requérants, se plaignant que l’opinion et les commentaires qu’elle avait recueillis aient porté atteinte à sa réputation.

Les deux sites  retirèrent immédiatement les commentaires en question. Ils avaient tous deux inscrit depuis longtemps dans leurs conditions générales une clause de déni de responsabilité en vertu de laquelle c’étaient les auteurs des commentaires, et non le propriétaire du site, qui en étaient responsables.

Malgré cela, les juridictions nationales jugèrent les commentaires injurieux, outrageants et humiliants et estimèrent qu’ils dépassaient les limites acceptables de la liberté d’expression. La Kúria (l’organe judiciaire suprême de Hongrie) condamna donc chacun des deux requérants à payer la somme de 75 000 forints hongrois (environ 250 euros) au titre des frais de justice. Les requérants formèrent contre cette décision un recours constitutionnel qui fut rejeté en mai 2014.

Invoquant l’article 10 (liberté d’expression), les requérants se plaignaient des décisions rendues à leur encontre par les juridictions hongroises, soutenant que ces décisions faisaient peser sur eux en pratique une obligation de modération de la teneur des commentaires laissés sur leurs sites par les internautes, ce qui, selon eux, allait à l’encontre de l’essence même de la liberté d’expression sur Internet.

La requête no 22947/13, Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt c. Hongrie, a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 28 mars 2013.

Le 2 février 2016, la Cour publie son arrêt.

Elle rappelle que, même s’ils ne sont pas les éditeurs des commentaires au sens traditionnel du terme, les portails d’actualités sur Internet doivent en principe assumer certains devoirs et responsabilités. Elle considère toutefois qu’en l’espèce, lorsqu’ils ont tranché la question de la responsabilité des requérants, les juges hongrois n’ont pas dûment mis en balance les droits divergents en cause, à savoir d’une part celui des requérants à la liberté d’expression et d’autre part celui des sites d’annonces au respect de leur réputation commerciale : notamment, ils ont admis d’emblée que les commentaires étaient illicites car attentatoires à la réputation des sites web d’annonces immobilières.

La Hongrie doit verser aux requérants 5 100 euros pour frais et dépens.