Projet Gaia-X : un nuage européen a-t-il une quelconque chance de succès ?

Peter Altmaier, ministre fédéral de l’Économie et de l’Énergie de l’Allemagne, et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, ont officialisé jeudi l’organisation de pilotage du projet Gaia-X.

Il s’agirait de construire une infrastructure de données fiable et sécurisée pour l’Europe.

22 entreprises, 11 allemandes et 11 françaises, sont rassemblées dans cette organisation, et s’engagent à garantir la souveraineté des données, leur disponibilité, leur interopérabilité, leur portabilité, et promouvoir la transparence.

Le projet est encore très flou, mais semble reposer sur la volonté de ne pas dépendre des grandes entreprises américaines telles que Amazon, Microsoft et Google pour l’informatique en nuage en Europe, en offrant une alternative qui respecte les valeurs européennes, pour défendre ses propres intérêts économiques.

L’un des principes clé de Gaia-X, serait la possibilité de changer facilement d’un fournisseur d’informatique en nuage à un autre.

Ce projet nous semble voué à un avenir des plus limités.

L’informatique en nuage a débuté au plus tard en 2006 avec l’Elastic Compute Cloud d’Amazon. Depuis, Amazon, Microsoft, Google, et IBM ont investi des dizaines de milliards dans leurs infrastructures, leurs logiciels et leurs services.

Ces fournisseurs américains ont déjà compris depuis des années l’importance des nuages souverains, et offrent des services qui permettent de se conformer aux régulations européennes, voire françaises.

Dans ces conditions, il semble très difficile pour des entreprises européennes d’offrir une alternative intéressante, alors même qu’elles en sont au stade de définition des buts à atteindre.

L’approche européenne de rassembler des constellations d’entreprises aux priorités divergentes pour participer à des projets européens pour parvenir à des standards techniques et mettre en place de nouveaux cadres réglementaires, voire éthiques, n’a, ne nous semble-t-il, aucune chance d’influencer un secteur qui évolue « à la vitesse de la lumière ».

On a vu par le passé avec OpenStack que même le mastodonte de l’open source, a complètement échoué à offrir une alternative aux fournisseurs d’informatique en nuage à l’hyperéchelle.

La plupart des entreprises comme HP qui ont parié dessus ont vite fermé boutique.

Moins de deux ans après son lancement conjoint avec RackSpace, la NASA abandonnait déjà l’OpenStack pour AWS.

En matière d’informatique en nuage, la taille compte : on obtient les meilleurs prix en achetant les serveurs par millions, on amortit mieux les coûts d’adaptation aux régulations locales, nationales et internationales quand on possède des dizaines ou des centaines de centres de données.

Et même les plus grands acteurs du nuage n’ont pas toujours le temps de chercher à imposer à tout va leurs standards : par exemple, pour l’orchestration des conteneurs, les entreprises ayant choisi Kubernetes, tous les acteurs du nuage ont pris acte, et développé leurs offres autour de Kubernetes.

Aux États-Unis, une entreprise aussi riche et aussi puissante qu’Oracle, malgré les efforts très importants consentis, n’a jamais réussi à devenir ne serait-ce que l’esquisse d’une ombre de menace pour les leaders du nuage.

Une rapide et énorme concentration du secteur en un, deux, voire trois géants européens, nous semble le seul moyen de pouvoir concurrencer, à termes, les Américains ou les Chinois.

Au lieu de chercher le choc frontal, l’Union européenne devrait investir en priorité là où les grands fournisseurs de nuages américains sont les plus faibles, de la même manière que la Chine a parié sur la 5G pour devancer les États-Unis, et prépare une alternative aux mémoires et aux processeurs américains.